Figure emblématique de la scène politique camerounaise, Issa Tchiroma Bakari incarne ce parcours singulier d'un homme ayant évolué au cœur des institutions avant d'opérer une rupture stratégique avec le régime en place. Né en 1949 à Garoua dans la région du Nord, ce technocrate chevronné a su naviguer avec habileté dans les méandres du pouvoir pendant des décennies, pour finalement annoncer sa candidature à l'élection présidentielle face au président Paul Biya. Son parcours témoigne d'une évolution politique remarquable, passant de porte-parole du gouvernement à challenger du système qu'il a longtemps servi.

Issa Tchiroma Bakari puise ses racines dans le terreau fertile du Nord camerounais, une région qui a toujours joué un rôle crucial dans l'équilibre politique du pays. Ses premières années à Garoua forgent en lui cette compréhension intime des réalités camerounaises. Brillant étudiant, il intègre la prestigieuse École nationale d'administration et de magistrature (ENAM), creuset traditionnel de l'élite administrative camerounaise, où il acquiert les outils intellectuels qui lui permettront de se distinguer par la suite.

Le parcours gouvernemental de Tchiroma témoigne d'une ascension méthodique au sein du régime. Entre 1997 et 2023, il sert sous six gouvernements successifs, cumulant les expériences et affinant sa compréhension des mécanismes étatiques. Sa carrière connaît un tournant décisif avec sa nomination en 2015 au poste stratégique de ministre de la Communication. Pendant huit ans, il occupe cette fonction délicate avec un remarquable sens de l'équilibre, servant de porte-voix officiel du gouvernement et défendant les positions du régime avec une conviction qui lui vaut le respect de ses pairs et la méfiance de l'opposition.

C'est donc avec une surprise considérable que la classe politique camerounaise accueille son annonce de candidature à l'élection présidentielle. Le 15 mars 2024, lors d'une conférence de presse tenue à Douala, Tchiroma, vêtu d'un boubou blanc immaculé, déclare avec solemnité : "Le Cameroun a besoin d'un nouveau souffle. Après des décennies de pouvoir ininterrompu, le système a montré ses limites. Je me présente pour incarner cette rupture démocratique que notre peuple appelle de ses vœux." Cette déclaration constitue une rupture spectaculaire avec le régime qu'il a servi pendant près de trois décennies.

La rupture avec Paul Biya et le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) n'est pas sans conséquences. Le camp présidentiel dénonce "une trahison indigne" et promet des sanctions disciplinaires. Pour Tchiroma, cette décision représente un pari risqué mais calculé. Fort de sa connaissance intime des rouages du pouvoir, il entend capitaliser sur son expérience gouvernementale pour proposer une alternative crédible. Son programme politique se veut une synthèse entre continuité et rupture, mêlant modernisation économique et préservation de l'unité nationale.

La candidature de Tchiroma introduit une dynamique nouvelle dans le paysage politique camerounais. En passant de l'autre côté de la barrière, cet ancien ministre incarne désormais la possibilité d'une transition pacifique. Son franc-parler, sa maîtrise des dossiers et son réseau au sein de l'administration constituent des atouts non négligeables face au président sortant. Cependant, son passé de ministre loyaliste lui attire également les critiques de l'opposition traditionnelle, qui questionne la soudaineté de sa conversion démocratique.

Aujourd'hui, à 76 ans, Issa Tchiroma Bakari écrit un nouveau chapitre de sa carrière politique. Son parcours singulier - du technocrate loyal au candidat présidentiel - reflète les évolutions en cours dans la politique africaine. Sa décision de défier Paul Biya, après avoir été son ministre, témoigne à la fois d'un courage politique certain et d'une fine compréhension des aspirations de la jeunesse camerounaise. Que son pari soit couronné de succès ou non, son nom restera dans les annales comme celui qui aura osé cette transition audacieuse, marquant peut-être le début d'une nouvelle ère dans la vie politique camerounaise.